Le retrait des troupes françaises de Côte d’Ivoire, annoncé par le président Alassane Ouattara, marque un tournant symbolique dans la relation entre la France et ses anciennes colonies africaines. Ce départ, prévu pour janvier 2025, s’inscrit dans une vague de rejets croissants de la présence militaire française sur le continent, alimentée par un ressentiment populaire grandissant et un désir d’affirmation de la souveraineté nationale. La justification officielle de ce retrait repose sur l’efficacité désormais acquise par l’armée ivoirienne, permettant au pays d’assurer sa propre sécurité. Cependant, des analystes pointent également vers des motivations politiques, notamment à l’approche des élections générales d’octobre 2024, où le président Ouattara pourrait briguer un quatrième mandat, une perspective contestée par l’opposition. Ce geste pourrait être interprété comme une tentative de se dissocier d’une image trop proche de la France, perçue négativement par une partie de la population.
Ce désengagement ivoirien fait écho à une tendance plus large en Afrique francophone, où plusieurs pays ont rompu leurs liens militaires avec Paris ces dernières années. Le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et le Sénégal ont successivement expulsé les troupes françaises de leur territoire, dénonçant l’ingérence perçue de l’ancienne puissance coloniale et son incapacité à endiguer la violence des groupes armés dans la région du Sahel. Ces pays se tournent de plus en plus vers d’autres partenaires, notamment la Russie, pour obtenir un soutien militaire et logistique. Ce contexte force la France à repenser sa stratégie militaire en Afrique, privilégiant désormais des déploiements temporaires plutôt que des bases permanentes, et mettant l’accent sur la formation des forces locales. Cette réorientation témoigne de la perte d’influence de la France sur le continent et de la complexification des relations postcoloniales.
L’hostilité envers la France en Afrique francophone s’enracine dans un héritage colonial complexe. La colonisation française, marquée par la domination politique et économique, a laissé des traces profondes dans les sociétés africaines. Le système de la «Françafrique», instauré après les indépendances, a permis à la France de maintenir son influence politique et économique, suscitant des accusations de néocolonialisme. L’intervention militaire française, souvent perçue comme inefficace face à la montée des groupes armés, a exacerbé le ressentiment populaire. Les manifestations anti-françaises, de plus en plus fréquentes, témoignent de cette frustration et de la volonté de rompre avec le passé colonial.
Le Mali, pionnier de cette rupture avec la France, a expulsé les troupes françaises en 2023, suite à un coup d’État militaire. Le gouvernement malien a accusé la France d’ingérence et s’est rapproché de la Russie, engageant des mercenaires du groupe Wagner pour lutter contre les groupes armés. Le Burkina Faso et le Niger ont suivi la même voie, expulsant également les forces françaises et renforçant leurs liens avec Moscou. Ces pays, confrontés à une instabilité politique et sécuritaire croissante, cherchent des alternatives à la présence française, jugée inefficace et symbole d’une domination passée.
Le Tchad et le Sénégal, bien que n’ayant pas connu de coups d’État militaires, ont également décidé de mettre fin à leur coopération militaire avec la France. Le Tchad, longtemps un allié clé de Paris dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, a justifié sa décision par la nécessité d’affirmer sa souveraineté. Le Sénégal, quant à lui, a invoqué des raisons historiques, liées au massacre de Thiaroye en 1944, pour justifier la fermeture des bases militaires françaises sur son territoire. Ces décisions témoignent d’une volonté croissante des pays africains de prendre en main leur propre destin sécuritaire et de diversifier leurs partenariats.
Malgré ces revers, la France conserve une présence militaire en Afrique, notamment à Djibouti, où elle dispose d’une importante base militaire. Elle maintient également un contingent au Gabon, malgré le coup d’État de 2023. Cette présence, bien que réduite, témoigne de la volonté de la France de préserver ses intérêts stratégiques sur le continent. Cependant, face à la montée du sentiment anti-français et à la concurrence d’autres puissances, la France doit repenser son rôle en Afrique et adapter sa stratégie aux nouvelles réalités géopolitiques. L’avenir de la relation franco-africaine reste incertain, marqué par des défis complexes et une volonté croissante d’autonomie de la part des pays africains.